POUR PERSONNES AVERTIES !
Analyse du lien entre frisure et hypoallergénie chez le cheval Curly
Recherche des gènes sous-jacents
Projet HippoFriz
Contexte :
Près de 2,5 % de la population française présente une allergie au cheval et en Italie. 3.5 % de la population serait concernée. Près de 10 % des suédois seraient sensibilisés aux allergènes équins (Emenius, 2009). La fréquence des allergies au cheval est en constante augmentation et a doublé en France en 20 ans, parallèlement au développement de la pratique de l’équitation. C’est un problème tant pour les cavaliers que les professionnels de la filière. Une étude a ainsi montré une fréquence plus élevée de sensibilisation, de rhinites et d’asthme chez les palefreniers (Tutluoglu, 2002). Plusieurs études ont également montré une sensibilisation des populations urbaines et périurbaines sans contact direct avec les chevaux (Liccardi, 2009 ; Liccardi, 2011). En Suède, il est recommandé de conservé une distance minimale de 500 m entre une écurie et les habitations, les écoles ou les hôpitaux (Elfman, 2008), alors que les allergènes de chevaux ne semblent pas être disséminés sur plus de 50 m (Emenius, 2009).
Dans ce contexte, les chevaux Curly connaissent un engouement depuis une quinzaine d’année en Europe, après une période de déclin au milieu du XXème siècle ayant fait craindre sa disparition. En effet, ces chevaux frisés sont hypoallergéniques, ne provoquant au pire qu’une réaction allergique modérée, en fonction du type d’animal et de la prédisposition de la personne allergique. Dans certains cas, les Curly pourraient contribuer à une certaine désensibilisation. Sur une population mondiale estimée à 9000 chevaux, 4000 Curly sont enregistrés et près de 600 sont élevés en Europe, dont plus de 150 en France. Outre l’hypoallergénie, le Curly possède d’autres atouts : sa rusticité (frugalité, robustesse), son mental (courageux, calme et docile) et sa gentillesse en font un excellent "cheval de compagnie", tout en étant, pour le cavalier confirmé un cheval de sport valeureux. C’est la monture idéale des enfants, des personnes craintives ou des handicapés et est utilisé en équithérapie aux USA et au Canada. En fonction de leur conformation, les Curly obtiennent également de bons résultats dans diverses disciplines comme l’équitation western, le dressage, le CSO ou même l’endurance.
L’origine des Curly reste encore mystérieuse. Les Curly du Nevada seraient le produit de croisements entre chevaux Lokaï et mustangs, alors que les Curly du Dakota auraient pour ancêtres des chevaux frisés espagnols. En 1930, des juments frisées sauvages ont été croisée avec des Quarter-Horses, des Arabes, des Appaloosa et des Tennessee Walkers… Ces origines variées expliquent probablement la variabilité de la frisure au sein de la race Curly. En termes de génétique, l’hypothèse défendue par l’International Curly Horse Organization (ICHO, registre américain de référence) est celle de deux gènes, l’un dominant C à pénétrance complète, l’autre récessif R à pénétrance incomplète, dont les différentes combinaisons d’allèles expliqueraient les différents phénotypes, allant de poils raides (straights) à des poils très frisés (microcurl) en passant par une simple ondulation ou des chevaux nus en période estivale (bald).
Chez le chien, des phénotypes similaires sont expliqués par la combinaison de différents variants de 3 gènes : RSPO2, FGF5 et KRT17 (cadieu, 2009). Chez la souris, des mutations dans les gènes KRT25 et KRT27 sont responsables de phénotypes frisés et ondulés (rex). Des mutations dans les gènes KRT71, KRT74, EGFR, LIPH et LPAR6 ont également été associées à des phénotypes frisés chez la souris et/ou l’Homme. Des variants des gènes TCHH, EDAR et FGFR2 ont au contraire été associés aux cheveux raides chez l’Homme.
Un programme de cartographie du gène dominant Curly a été initié par Gus Cothran (Animal Genetics Lab, Texas A&M University). Une région contenant 3 gènes candidats a ainsi été identifiée. Le séquençage des exons de ces gènes n’a pas mis en évidence la mutation causale (communication personnelle). Le projet est actuellement au point mort, faute de financements. L’histologie de la peau n’a pas montré de différences majeures, mais certains individus ayant une hypotrichose de la crinière et de la queue présentaient des signes de dysplasie folliculaire (Scott, 2004). Quelques cas de kératose folliculaire ont également été observés (Scott, 2004), sans pouvoir conclure quant à la signification de cette observation en termes de frisure. Cependant, aucune comparaison détaille n’a porté à la fois sur les différents type de chevaux Curly et d’autres races de chevaux. La variabilité physiologique normale n’est pas connue.
Les raisons de l’hypoallergénie ne sont pas élucidées. L’allergie au cheval est une réaction d’hypersensibilité immédiate souvent violente, provoquant des rhinites allergiques, des crises d'asthme ou diverses manifestations cutanées (urticaire, eczéma). Les allergènes équins se trouvent principalement au niveau des poils, des squames, de la salive et de l'urine des équidés. Plus de 16 protéines allergisantes des squames ont été identifiées après électrophorèse 2D en conditions dénaturantes (Bulone, 1998 ; Bulone, 2000). Les principaux allergènes sont :
Equ c 1, une lipocaline de 25 kDa, positive chez 70% des patients
Equ c 2, une lipocaline de 16 kDa, positive chez 50% des patients
Equ c 3, l’albumine de 67 kD, positive chez 20% des patients
Equ c 4, une isoforme de 18.7 kDa de la latherin, positive chez 30% des patients
Equ c 5, une isoforme de 16.7 kDa de la latherin, positive chez 20-70% des patients
D’autres glycoprotéines, dont une de 27 kDa et une de 31 kDa, sont allergisantes mais non pas encore identifiées (Johnsen, Further characterization of IgE-binding antigens in horse dander, with particular emphasis on glycoprotein allergens. Allergy 1996;51(9):608-13)).
Les lipocalines sont une famille de protéines jouant un rôle de transporteur de petites molécules hydrophobes (stéroïdes, sels biliaires, rétinoïdes, lipides) et impliquées dans de nombreux processus biologiques, comme la réponse immunitaire, le transport de phéromones, la synthèse des prostaglandines, la fixation de rétinoïdes (http://www.ibibiobase.com/projects/lipocalin/index.htm)… Elles sont produites dans la peau, la salive et l’urine.
La latherin est une protéine non glycosylée ayant des propriétés tensio-actives identifiée récemment (McDonald, 2009). Sa présence dans la sueur des chevaux contribuerait à réduire la tension superficielle air/liquide à la surface de la peau et améliorer la dissipation thermique. Elle est produite dans la peau et la salive.
Une étude ancienne a analysé 7 races de chevaux, dont les Curly. Une grande variabilité inter-race et inter-individuelle a pu être mise en évidence, sans réussir à identifier des allergènes spécifiques de certaines races (Felix, 1996), les allergènes majeurs étant présents dans toutes les races analysées. Cela suggére qu’une différence quantitative de production de ces allergènes serait à l’origine de l’hypoallergénie. Une étude menée en Allemagne a par la suite montré que les squames de Curly possédaient des quantités de certaines lipocalines plus faibles que d’autres races, et que certaines protéines auraient une conformation différente (cf article ICHO. Il faudrait réussir à obtenir la thèse d’Anne Kürschner Anamnese und In-vitro-allergologische-Untersuchungen bei Pferdeallergien und Toleranz gegenüber Curly-Horses. Contacter Frank.Jugert@post.rwth-aachen.de).
Si l’hypoallergénie résulte essentiellement d’une moindre production de lipocalines, ou d’une structure différente de certaines de ces lipocalines, il n’y aurait pas de rapport fonctionnel direct entre frisure et hypoallergénie. La structure plus fine du poil des Curly pourrait cependant modifier la capacité à retenir d’autres allergènes liés à l’environnement et contribuer à diminuer indirectement l’allergénicité des chevaux Curly.
Par ailleurs, des observations de terrain semblent indiquer que des chevaux straights à poils raides peuvent être hypoallergéniques et qu’à l’inverse, dans de rares cas, certains Curly frisés sont allergisants.
Ces observations suggèrent l’existence d’un gène d’hypoallergénie distinct des gènes Curly de frisure. Une hypothèse multigénique serait probable, pouvant expliquer (au moins en partie) la variabilité de réponse des personnes allergiques (à moins que cela ne soit le résultat d’une sensibilité variable des patients, phénomène également très probable). Dans cette hypothèse, l’exploitation actuelle en Europe des Curly par croisement avec d’autres races et sélection sur le caractère frisé dominant fait courir le risque de «diluer» progressivement le caractère hypoallergénique, voire de le perdre à moyen terme.
Une caractérisation détaillée de l’hypoallergénie des chevaux Curly revêt de ce fait plusieurs intérêts :
- Au plan commercial et marketing, être capable d’évaluer le degré d'hypoallergénicité d’un cheval afin de fournir des garanties vis-à-vis de l’acheteur
- Au plan scientifique, analyser le déterminisme génétique de l’hypoallergénie et étudier le lien avec la frisure. Identifier les gènes et les mutations.
- Au plan de la gestion de la population, s’assurer que l’organisation de la filière ne fait pas courir le risque d’une perte progressive du caractère. Si hypoallergénie et frisure s’avéraient distincts et polygéniques, être capable d’identifier précocement les chevaux ayant conservés toutes les qualités d’origine (à conserver comme reproducteurs) et ceux qui, bien qu’étant encore suffisamment hypoallergéniques, n’ont pas hérités de l’ensemble des variants favorables (à commercialiser, mais à éviter comme reproducteurs).
Objectifs :
-
Caractériser l’hypoallergénie du Curly
- Rechercher de nouveaux allergènes et quantifier les allergènes présents ?
A voir en fonction des résultats allemands.
- Proteomique shotgun sur les squames et la salive ?
- 2-DE et tests de réactivité sur sera de patients pour analyser l’immunogénicité des protéines de chaque spot ?
- Comparer la réactivité de patients allergiques vis-à-vis de différentes races
A préciser en fonction des résultats allemands.
- Sera de patients/sérothèque commerciale (Stallergenes, ALK, Pasteur-Cerba)
- Plusieurs races et plusieurs familles de Curly Pur, Curly et ½ Curly
- Etablir les profils de sensibilisation sur blot + test d’inhibition IgE ?
- Analyser le lien entre frisure et hypoallergénie.
- Utiliser les outils mis en place précédemment pour analyser l’hypoallergenie dans différentes familles de Curly où ségrègent les différents types de poils.
- Identifier les gènes et les mutations causales responsables du caractère Curly dominant et du caractère récessif, en collaboration avec Gus Cothran (Texas).
- Séquençage complet 8X d’un cheval Curly dominant croisé (1/2 Curly ou Curly), d’un homozygote récessif et d’un straight (Curly pur).
- Recherche de mutations fonctionnelles dans les principaux gènes candidats de la frisure.
- Analyse d’association sur le panel d’animaux de Gus Cothran + Oncurls.
- Cartographie par autozygotie sur un panel de 20 animaux Curly récessifs (le moins apparentés possible mais possédant un ancêtre commun à plus de 6 générations) et 28 straights contrôles (apparentés aux 20 Curly homozygotes récessifs).
- Analyse histologique de la peau de différents types de chevaux curly et d’autres races, pour en particulier comparer les stages
- Vérifier les hypothèses de l’ICHO quant à l’association génotypes-phénotypes en analysant les combinaisons alléliques dans différentes sous populations.
- Vérifier si le gène récessif est identique chez le Percheron, le Quarter Horse, les Appaloosas et le Missouri Fox trotteur chez lesquels il est parfois détecté.